Discorsi e dimostrazioni matematiche, intorno à due nuove scienze attenenti alla mecanica & i movimenti locali , del Signor Galileo Galilei Linceo, filosofo e matematico primario del Serenissimo Grand Duca di Toscana
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La publication à laquelle il est ici rendu honneur est celle que Galilée (Galileo Galilei, 1564-1642) a réussi à transmettre clandestinement en 1636 à la maison Elzevier (Leyde, Hollande) pour publication en 1638 après s'être fait assigner à résidence dans sa villa d'Arcetri, près de Florence, par un tribunal en 1633. Cette disposition particulière a été prise au terme d'un procès à l'issue duquel il put apprécier l'indulgence de l'Inquisition, à la stricte condition de nier la véracité de la théorie copernicienne. Le terme du procès marqua également le début de la mise à l'index des ouvrages de Galilée. La motivation d'un tel procès pour grave suspicion d'hérésie repose sur la publication d'un ouvrage par Galilée en 1632 relatif à un débat sur les représentations de Ptolémée et de Copernic du système solaire (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo), débat quelque peu orienté en la faveur du modèle héliocentrique, alors très controversé en raison des divergences évidentes d'interprétation théologique conséquemment à la lecture des deux représentations discutées. Jouissant de l'influence de membres respectés du clergé, Galilée eut une chance que ne put partager le frère dominicain Giordano Bruno, philosophe naturaliste périssant sur le bûcher en 1600 pour avoir défendu des idées identiques, en contradiction avec les enseignements scholastiques. Il apparaît donc que l'époque elle-même constituait un danger pour quiconque se voulait en marge des vérités en vigueur, soit les principes et conclusions de la pensée cléricale en matière d'interprétation de modèles physiques ayant trait au système solaire et, plus particulièrement, à la position de l'Homme dans cette architecture.
Le procès de Galilée n'est pas sans rappeler celui de Socrate, qui fut en son temps condamné pour avoir corrompu les jeunes esprits avec ses enseignements réfutant l'existence de dieux ancestraux et introduisant de nouvelles divinités. Il est à noter qu'en ce qui concerne le procès de Galilée, le jugement de l'Inquisition romaine ne fut annulé qu'en 1992 par le Pape Jean-Paul II, à l'époque fermement favorable à la création de ce qui s'appelle aujourd'hui la purification de la mémoire.
Le lecteur comprendra dès lors que les circonstances entourant la publication de l'ouvrage dont il est ici question manquent certainement de banalité. Cette oeuvre constitue le testament scientifique de Galilée, qui retranscrit les résultats de ses recherches des trente années précédentes afin d'en léguer une trace à la postérité. Sous la forme d'un dialogue, plusieurs matières sont développées en termes d'axiomes, de théorèmes et de propositions. Ces matières sont d'un intérêt évident pour la physique elle-même ainsi que pour l'ingénierie puisqu'elles incluent la résistance de matériaux, la percussion, le mouvement des corps graves (chute des corps, lancer de projectiles, etc.), la mesure du temps (isochronisme du pendule oscillant, clepsydres) avec pour postulat nécessaire une hypothèse stipulant que par essence, la géométrie régit la dynamique des corps. Il existe dans cet ouvrage d'autres types de propositions ne portant pas sur la dynamique mais ayant des applications impressionnantes pour l'ingénierie, la mécanique des fluides ou encore la biomécanique, telle que la loi d'échelle relative aux variations d'aire et de volume d'un corps suite à des modifications géométriques consistant en une variation homothétique de ses dimensions.
De proposition en proposition, Galilée, à travers les interventions de Salviati dans le dialogue des Discorsi, heurte la tradition artistotélicienne et tout son paradigme fondamental associé notamment à la chute des graves et à la conception de matière. Le procédé habile de déstabilisation d'un personnage fictif (Simplicio) en argumentant par la rhétorique notamment provoque inconsciemment l'attribution d'une crédibilité à son opposant (ici Salviati, représentant Galilée, soutenu par Sagredo – supposé neutre). Ces tactiques, largement utilisées dans le Dialogo de 1632, sont bien plus modérées dans le présent ouvrage, où Simplicio représenterait Galilée lui-même, jeune et naïf à l'époque de sa formation par l'école classique, plutôt qu'un aristotélicien rendu stupide par ses propos tout au long de l'ouvrage.
Géométrie et logique ne sont pas les seules armes de Salviati dans les débats. En effet, Galilée partage à travers Salviati une notion qui a désormais une présence prépondérante dans son examen du comportement de la matière : l'expérimentation. Il tire certaines de ses conclusions subséquemment à l'analyse de grandeurs fournies par l'expérience; l'accélération d'un corps le long d'un plan incliné en est un exemple notable. C'est en cela qu'à son époque, Galilée a innové relativement à la vision qu'a le scientifique de la science qu'il exerce. Bien que moins structurelle et formelle que la méthode scientifique élaborée par son contemporain britannique Francis Bacon, philosophe de la réforme méthodologique de la science en son temps, l'empirisme galiléen en tant que support au discours, conjugué à la géométrisation de faits (rappelant par là son contemporain René Descartes), a réellement constitué une des contributions majeures de Galilée. Bien qu'il ait pu être avéré que certaines de ses expérimentations n'aient été que des expériences de pensée, la rationalisation de la connaissance scientifique et sa mathématisation ont, à cette époque, ouvert la voie à beaucoup de penseurs succédant à Galilée. Les oeuvres de Leibniz et de Newton sont des exemples remarquables de formalisation adéquate de savoirs factuels. Une partie de leur contribution découle des acquis de prédécesseurs tels que Galilée et de l'attribution d'un formalisme mathématique à l'étude systématique de problèmes physiques.
Comme toute son oeuvre, ce livre a été rédigé en italien et, alors que la traduction en français du Meccaniche fut exécutée par Marin Mersenne lorsque Galilée était toujours en vie, la plupart des éditions en anglais des Discorsi, rédigées par Thomas Salusbury en 1665, n'auraient pas survécu au grand incendie de Londres qui ravagea la ville du 2 au 5 septembre 1666. L'ouvrage est donc réédité en 1730 par Thomas Weston. Plusieurs versions se sont succédé, palliant les ambiguïtés diverses et à certaines imprécisions jusqu'aux dernières éditions des XXe et XXIe siècles. Citons notamment le travail de Henry Crew et d'Alfonso de Salvio, qui ont réédité la totalité de l'oeuvre en anglais en 1914.
La considération de nos contemporains pour les travaux de Galilée et pour son impact sur la naissance des sciences modernes est unanime. Ses oeuvres ont été retranscrites dans de nombreuses langues et les vestiges de son savoir transparaissent toujours dans les manuels de mécanique actuels. La présente contribution consiste en la numérisation d'une édition originale des Discorsi dans l'espoir de promouvoir la diffusion d'une oeuvre exceptionnelle, rappelant par là que l'homme de science moderne a le souci de rendre hommage aux acteurs du passé ayant contribué à l'édification de sa propre connaissance.
Thibaud Etienne
Université de Namur - Unité de Chimie Physique Théorique et Structurale
Université de Lorraine - Théorie-Modélisation-Simulation
Juillet 2013
Pour en savoir plus
- A. Koyré, An Experiment in Measurement, dans Proceedings of the American Philosophical Society, 97 (2), 1953.
- M. Segre, The role of experiment in Galileo's physics, dans Archive for History of Exact Sciences, 23 (3), 1980, p. 227-252.
- C. Matagne, Répertoire des ouvrages du XVIIe siècle conservés à la bibliothèque du CDRR (1601-1650), Namur, 1990, G-8, p. 196.
- D.R. Topper, Ensnared in Circles: Galileo and the Law of Projectile Motion, dans Quirky Sides of Scientists, 2007, p. 123-137.
- T. Etienne, Expérimentation Galiléenne, dans Revue de questions scientifiques, 179, 2008, p. 419-448.