Contenu
Ce volume, dont la première édition date de 1606, consiste en une sorte d’album illustré de l’état de conservation des antiquités de divers sites du Grand Tour (la peregrinatio Academica) que le dédicataire, Johannes Matthaeus Wacker von Wackenfels (1550-1619), accomplit en Italie dans les années 1570. On le doit à la plus connue, et peut-être la plus prolifique, des dynasties de graveurs flamands de la fin du XVIe siècle et du siècle suivant, les Sadeler. Les deux membres de cette dynastie mentionnés dans l’ouvrage sont Aegidius II et Marcus. Le premier développa son activité à la suite de voyages à Rome, Vérone, Venise et Naples, qui lui donnèrent certainement une connaissance directe des antiquités classiques d’Italie. Le commanditaire, diplomate de renom (conseiller de l’Aulicum Consilium du Saint-Empire romain) et versé dans l’étude de la philosophie et de l’histoire, est l’un de ces aristocrates européens qui désiraient obtenir, le plus souvent sous la forme de peintures et de gravures, des souvenirs des Antiquitates italiennes pour commémorer leurs voyages et illustrer leurs mémoires.
L’ exemplaire exposé est une réédition par Giovanni Giacomo de Rossi, l’initiateur de la fortune artistique et commerciale de sa famille, originaire du Milanais, qui développa le plus grand atelier de production et de commerce de gravures artistiques à Rome au XVIIe siècle et dans la première moitié du XVIIIe. Vers 1640, l’entreprise se divisa en deux boutiques, dont l’une – où fut imprimé le volume en question – se trouvait dans la via alla Pace, sul cantone, all’insegna di Parigi. Avec l’agrandissement de la boutique en 1660 et 1663, de Rossi s’impose comme un imprimeur plein d’initiatives et non dénué de goût et de culture. Sur plus d’un demi-siècle d’activité (de 1638 à 1691), il fit d’une boutique familiale et artisanale un atelier de stature internationale, devenant le plus grand producteur et marchand de gravures de Rome, et conférant à ce commerce une dimension jusqu’alors inconnue. En particulier, il sut percevoir et exploiter l’intérêt pour le renouveau urbanistique qui, après une longue période de stagnation, animait alors Rome, singulièrement avec le pape Alexandre VII, de son vrai nom Fabio Chigi.
C’est dans ce contexte culturel que s’inscrit la production du volume. Ses pages reproduisent une série de planches gravées présentant les ruinarum fragmenta, un sujet particulièrement apprécié en littérature depuis le Moyen Âge, et dans l’art figuratif italien et étranger à partir du XIVe siècle. C’est avec le sac de Rome en 1527, toutefois, que l’intérêt pour les ruines de la Ville éternelle, et plus tard seulement pour celles de l’Italie en général, s’imposa dans tous les domaines, d’où l’efflorescence de guides et de descriptions d’Antiquitates. De fait, à l’époque de Raphaël – qui est depuis 1515 commissaire des antiquités pontificales – la description des ruines acquiert les caractéristiques d’un véritable genre littéraire. La célèbre formule Roma quanta fuit ipsa ruina docet (« Ce sont ses ruines mêmes qui nous enseignent combien Rome fut grande ») semble inspirer, tout au long du XVIe siècle, des artistes provenant même du Nord de l’Europe, tels Maarten van Heemskerck, Hendrik van Cleeve, Hieronymus Cock et Matthijs Bril, qui font du séjour romain un moment indispensable de leur formation. Dans leur production, les ruines deviennent le sujet principal de leurs vues de la capitale et sont présentées de toutes les façons : envahies par la végétation, dégradées ou exaltées. Ces artistes créent ainsi un répertoire dans lequel leurs collègues puiseront aux siècles suivants.
Dans les planches du volume, les vestiges du passé dominent le paysage, occupant entièrement les espaces et les sites de la Rome antique : sans qu’il s’en dégage la puissance visionnaire et onirique qui, au XVIIIe siècle, caractérisera les vues de Giovanni Battista Piranesi, les gravures de notre volume reproduisent les ruines existantes dans une représentation empreinte d’une atmosphère de quiétude qui immortalise Rome sans l’ennoblir ni en faire un cadre idyllique. Ainsi, le Forum Romain – un des paysages les plus familiers de l’imaginaire collectif – est recomposé à partir des restes monumentaux de la Rome classique, animés de petites figures humaines qui les habitent dans une atmosphère parfois naïve. Des prototypes de légendes archéologiques expliquent, argumentent et retracent le nom et l’histoire des lieux : une dimension qui anticipe l’interprétation des antiquités typique de l’époque des Lumières. Ainsi, les ruines ne sont plus des objets provenant d’un temps lointain et mythique : dans le volume, les monuments antiques d’Italie n’évoquent pas seulement le passé, perçu comme espace intellectuel de l’élaboration poétique – comme il l’avait été par Pétrarque –, mais sont une présence réelle placée au centre d’un intérêt qui, au fil du temps, deviendra l’étude archéologique moderne.
Bien entendu, la composante décorative et allusive reste encore bien présente, par exemple dans la page de la dédicace ou dans la gravure de la page de titre, où Fama et Tempus, encadrant le mur d’un édifice antique parsemé de fragments architectoniques en ruines, dirigent leur regard vers la peau d’une louve – uestigium, « reste » de ce que fut Rome – sur laquelle est inscrit le titre du volume ; le tout est encadré par deux hermès de Silvanus qui forment, en guise de télamons, le précieux cadre d’une bouche d’une cheminée.
Marco Cavalieri
Citer la notice
Titre
Date
Citer la notice
Titre
Date
Type
Éditeur(s)
Cote
Lien(s) vers le catalogue
Format
Droits
Détenteur des droits
Droits d’accès
Notes
Provenance : Cachet Nederockerzeel Ter Balk par Cortenberg
Cachet Regia Calcografia di Roma
Vignette Museum Artium Prov. Belg. S. I. avec ancienne cote Artsfol.2273
Format oblong
Dédicace signée Aegidio Sadeler a Matteo Wackherc da Wackhenfels
50 gravures par Marcus Sadeler