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La décoration peinte de la Galerie Farnèse fut exécutée par les frères Carrache et leur atelier, de 1598 à 1608 environ. Devenues immédiatement célèbres, elles donnèrent lieu à des reproductions gravées, dès 1630. Parmi les plus remarquables, il faut mentionner la série de Carlo Cesio (1626-1686) qui reproduit toutes les parties du vaste ensemble de fresques1. Elles furent d’abord publiées sans commentaire, puis, en 1657, avec un texte du fameux théoricien de l’art Giovanni Pietro Bellori (1613-1696). C’était la première fois que l’antiquaire prenait position face à une œuvre d’art moderne ; il devait y consacrer l’ensemble du cycle peint en véritable monument de référence de la culture classique2. L’excellente qualité d’exécution des grandes planches de Cesio conféra à l’ouvrage, dès sa première édition, le prestige d’un objet de luxe, mais surtout il contribua également à faire connaître les compositions de Carrache. La propagation de l’œuvre du maître n’aurait en effet sans doute pas été aussi importante sans sa diffusion par les estampes puisque, le vaste programme de fresques ayant été réalisé à l’intérieur du palais Farnèse, l’accès devait en être restreint. Vingt ans après l’édition commentée de Bellori, en 1677, paraissaient les gravures de Pietro del Po, particulièrement remarquables par leur rendu spatial et leurs effets de clair-obscur, et aussi par le fait qu’elles envisageaient la présentation des fresques selon des cadrages plus larges ; ce dernier choix constituait un apport particulièrement judicieux, car il permettait de mieux comprendre l’imbrication des scènes peintes entre elles.
En réalisant cet exceptionnel ensemble de la Galerie Farnèse, Annibal Carrache et ses collaborateurs ne pouvaient manquer d’avoir à l’esprit les fresques que Michel-Ange avait réalisées pour la chapelle Sixtine quelques décennies plus tôt, longuement vantées par Vasari qui exprimait son admiration à leur propos dans ses Vite, notamment sur les multiples inventions de postures des figures peintes par le maître. Mais la qualité peut-être la plus remarquable des fresques de la Galerie Farnèse est d’avoir renoué avec le classicisme de Raphaël, tout en apportant une nouvelle conception de l’espace et des figures. Par l’affirmation de sa personnalité artistique dans ce chef-d’œuvre, Annibal Carrache ouvrait ainsi la voie au Classicisme du XVIIe siècle, qu’il devait marquer durablement.
Au XVIIIe siècle, les fresques des Carrache faisaient toujours l’objet d’un grand intérêt, car elles étaient encore considérées comme des œuvres de référence, en France notamment. C’est sans doute ce succès qui motiva l’éditeur Basan à commander à un graveur dénommé Fr. de Poilly3 de reproduire avec exactitude l’intégralité des trente-sept gravures de Carlo Cesio afin de réaliser une nouvelle édition de l’ouvrage ; laquelle ne diffère de son modèle que par la traduction en français du texte de la page de titre et l’inversion des scènes en miroir. Pierre-François Basan (1723-1797), graveur de formation, est surtout connu pour son activité d’éditeur d’estampes4. De 1761 à 1795, il en aurait ainsi publié plus de 550 dont certaines dans des livres magnifiquement illustrés. Il fut de surcroît l’auteur d’un fort intéressant dictionnaire des graveurs anciens et modernes (1767).
Le même volume de la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin contient un second livre, édité également à Paris par Basan et dans des conditions similaires. C’est en effet un autre recueil de 16 gravures de Carlo Cesio qui a servi de modèle5, mais cette fois, ni la page de titre, ni même la page de dédicace n’ont été traduites, seule la mention du nom du graveur a été retirée afin de s’adapter au nouveau contexte éditorial. On trouve donc sur la première page : « Galeria dipinta nel palazzo del prencipe Panfilio da Pietro Berrettini da Cortona ». C’est bien des peintures ornant le palais Doria Pamphilj à Rome qu’il s’agit. Ce superbe bâtiment, à présent transformé en musée, héberge une magnifique collection de peintures pour lesquelles le cycle de fresques de Pierre de Cortone constitue un admirable écrin (1651-1654)6. Les estampes signées de cette série livrent le nom de G. Audran.
Enfin, une série de six gravures remarquables complète encore ce riche volume. Ces estampes reproduisent des scènes de l’Antiquité à sujets profanes peints par Annibal Carrache. La légende de plusieurs planches nous apprend que Nicolas Mignard (1606-1668) en exécuta les dessins au cours d’un voyage à Rome entre 1635 à 1637. Quant aux gravures à l’eau-forte, il les réalisa après son retour à Avignon, en 1637.
Michel Lefftz
1 Galeria nel palazzo Farnese in Roma del sereniss. Duca di Parma etc. Dipinta per Annibale Caracci intagliata da Carlo Cesio. In Roma nella libraria di Venanzio Monaldini al Corso [s. d.]. Sur le peintre et graveur cortonesque Carlo Cesi (ou Cesio), on consultera : A. Vannugli, Carlo Cesi, dans Pietro da Cortona, 1597-1669, sous la dir d’A. Lo Bianco, Milan, 1997, p. 257-264.
2 Pietro Bellori, Argomento della Galeria Farnese dipinta da Annibale Caracci disegnata e intagliata da Carlo Cesio, nel quale spiegansi e riduconsi allegoricamente alla moralità le favole poetiche in essa rappresentate, in Roma per Vitale Mascardi MDCLVII.
3 On recense plusieurs générations de graveurs et marchands d’estampes parisiens du nom de Poilly dont la plupart sont apparentés. Comme les estampes étudiées ici n’apparaissent pas dans l’étude de José Lothe (François et Nicolas de Poilly d’Abbeville : graveurs et marchands d’estampes parisiens du XVIIe siècle, avec le catalogue de leurs œuvres, Lille, 1986), on devrait pouvoir exclure ces deux artistes. La lettre de la majorité des estampes indique le nom de l’inventeur des compositions (« Annibale Carache inv. » ou « Annibale Carache pinxit ») et souvent le nom du graveur (« Fr de Poilly scul. » ou « f. Poilly scul. »). Il y eut au moins trois générations de graveurs de Poilly prénommés François.
4 P. Casselle, Pierre-François Basan, marchand d’estampes à Paris (1723-1797), dans Paris et Ile-de-France : Mémoires, t. 33, 1982, p. 99-185 ; P. Casselle, Pierre-François Basan et Basan frères, notices dans Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, 1987, p. 42-44.
5 Le recueil illustré par Carlo Cesio (1626-1686) parut en 1661, soit peu de temps après l’achèvement des peintures. Il s’intitule Galeria dipinta nel palazzo del Prencipe Panfilio da Pietro Berrettini da Cortona intagliata da Carlo Cesio vero originale. Si vendono da Giovanni Iacomo Rossi alla Pace alinsegna di Parigi co Priu S. Pont.
6 J. Beldon Scott, Strumento di potere : Pietro da Cortona tra Barberini e Pamphilj, dans Pietro da Cortona, 1597-1669, sous la dir. d’A. Lo Bianco, Milan, 1997, p. 87-98.