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Graveur du roi Georges III d’Angleterre à qui l’ouvrage est dédié, Thomas Major (1714-1799) entreprit de faire connaître les ruines de Pæstum, en hommage à la Grèce qui, à ses yeux, avait été « l’école du genre humain ». Voyageant en Italie, il achète des tableaux divers relatifs à Pæstum, se charge ensuite de les graver et d’en rédiger un commentaire. De cet ouvrage, composé de trois parties consacrées l’une à l’histoire de Pæstum, l’autre à la description des vestiges et la troisième aux monnaies antiques, on retiendra cette belle planche intitulée : A North View of the City of Pæstum, taken from under the Gate. Comme l’essentiel des gravures qui figurent dans l’ouvrage, elle est réalisée d’après une peinture, ici du peintre Tolli (Tolli pinxit). Nous sommes ici sous la porte Nord de l’enceinte de l’ancienne cité de Posidonia. Sous des dehors sagement bucoliques, le paysage qui est montré est un mélange mûrement réfléchi d’archéologie, de pittoresque et de falsification de l’image afin de mieux convaincre le lecteur que Posidonia était une autre Athènes. Il s’agit d’une vue générale du site réalisée depuis le dessous de l’arcade de la porte ; pour donner de celle-ci une impression de monumentalité, l’image est cadrée de manière telle que le sommet de la voûte ne soit pas visible. Derrière, – entre les mamelons fleuris du site archéologique occupés par les huttes des chevriers et un paysage de montagnes –, se détachent les trois temples antiques de Pæstum. La porte, imposante et magnifiquement conservée, abrite quelques gentlemen en tricorne et perruque. Un jeune homme à l’allure moins aristocratique leur désigne du doigt les temples : peut-être leur propose-t-il de les guider dans les ruines. Tout près du piédroit gauche de la porte, se tient un autre groupe de trois personnages : parmi eux, un peintre assis sur une éminence rocheuse observe, pinceau à la main, les particularités de la muraille en face de lui, percée de deux grandes ouvertures béantes ; la plus grande et la plus basse des deux laisse entrevoir dans le lointain le temple périptère hexastyle aujourd’hui connu sous le nom de « temple de Cérès ». De fait, ce mur troué mérite que l’on s’y attarde. Des plantes et des fleurs judicieusement placées autour de l’embrasure du trou inférieur forment un cadre naturel autour du « temple de Cérès », visible au fond du paysage. Dans son commentaire à la page 25, Thomas Major note que « les deux ouvertures dans la muraille, du côté droit, sont l’effet d’une licence de peintre, qui les a introduites exprès, pour rendre cette vue plus variée et plus agréable, et afin de mieux faire valoir le temple hexastyle périptère». La planche IV nous montre d’ailleurs la même porte. A ceci près que la vue donne, cette fois, non sur la ville antique, mais sur l’extérieur. N’ayant nul intérêt paysager à y ouvrir des fenêtres, fût-ce par le dessin, le peintre a laissé le mur intact.
Mais ce n’est pas la seule liberté que le peintre se soit autorisée avec les ruines. En effet, au pied de ce mur gisent cinq blocs, dont quatre sont décorés de reliefs. On ne s’attardera pas sur la base de colonne lourdement feuillue dont le décor est plus que fantaisiste ; ce sont les trois autres qui sont intéressants. Il y a tout d’abord cette métope de frise ionique ornée d’un cavalier, entourée de triglyphes. La même métope apparaît aussi à l’avant-plan d’une vignette reprise page 1, dans un contexte archéologique tout différent (c’est ici un amas de ruines, composé de fûts de colonnes cannelés évoquant les vestiges d’un temple ionique). Il s’agit là d’un cas typique de métope « baladeuse », – si l’on peut dire –, destinée à agrémenter de sa présence des ruines plus banales… Enfin, posées à côté, deux clés de voûte dont l’une est sculptée d’une sirène, personnage cher aux Posidoniens. Or, à la page 25, Thomas Major observe que « la porte de la ville du côté du Sud, […] subsiste presque en son entier. Elle est remarquable par la figure d’une Sirène, en relief, sur la clé de l’arcade, du côté de la campagne ». C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est représentée, en place, à la planche V. Mais sur la planche qui nous intéresse, la clé et sa sirène ont été impunément descendues de la voûte sur le sol (ainsi que l’autre clé, ornée d’un bas-relief peu lisible), afin de permettre au lecteur d’apprécier quand même le décor qui était hors champ, coupé par le cadrage spécifique dont il a été question plus haut.
Au souci de faire connaître l’antique se mêlent donc deux préoccupations : celle de rendre plus beau encore ce qui l’est déjà, au besoin en ajoutant du pittoresque à la scène, et celle de faire voir par le biais d’artifices divers ce qui n’est pas visible. L’image qui est donc révélatrice d’une époque où l’image gravée est un moyen destiné à convaincre le lecteur de voyager pour découvrir ces merveilles.
Isabelle Tassignon
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Pl. XXV-XXX: vignettes et culs-de-lampe dans le texte
Pour le nom du trad., cf. BL online