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Les Fables de Jean de la Fontaine – 1668 (réédition de 1755)
Les Fables choisies mises en vers par M. de La Fontaine, appelées simplement Fables de La Fontaine sont trois recueils regroupant 243 fables allégoriques publiés par Jean de La Fontaine entre 1668 et 1694. Ces histoires très courtes sont des leçons de vie qui mettent en scène des animaux reflétant des types humains dans le but d’en tirer une morale explicite (présentée au début ou à la fin du poème). Une morale parfois contestable, surtout au regard du temps qui a passé. Et pourtant, ces fables sont toujours considérées comme un des plus grands chefs d’œuvre de la littérature française. Nos enfants les récitent encore, tant, d’une part, ces apologues ont été utilisés comme support de l’enseignement dès le 18e siècle (et que l’école est une structure qui évolue peu), et d’autre part, que ces textes multiplient les formules visuelles, phonétiques et humoristiques qui parlent même aux plus petits.
Le loup est présent dans 16 des fables de La Fontaine, qui en fait un animal polymorphe, du sauvage cruel (Le loup et l’agneau) au philosophe (Le loup et les bergers) en passant par la figure du solitaire (Le loup et le chien).
Commentaire rédigé dans le cadre de l'exposition "Tite-Live, une histoire de livres" :
Les six premiers livres des Fables de La Fontaine ont paru en 1668, précédés d’une dédicace au Dauphin, fils de Louis XIV – pour l’instruction duquel on conçut à cette même époque la fameuse collection In usum Delphini. Le somptueux volume exposé, un in-folio d’un format exceptionnellement grand, est le premier d’une édition complète des Fables, en quatre volumes, parue de 1755 à 1759. Celle-ci fut réalisée par deux libraires-éditeurs parisiens, Desaint & Saillant et Durand, auxquels se joignit l’imprimeur Charles-Antoine Jombert. L’ouvrage s’ouvre sur une épître au roi (Louis XV) signée par l’éditeur de l’ouvrage, Jean-Louis Regnard de Montenault (pp. i-ii), que suit un « Avertissement de l’éditeur » (pp. iii-viii) où l’on découvre l’histoire de la réalisation de cette édition de luxe dans laquelle chaque fable est accompagnée d’une ou de plusieurs gravures en pleine page. Au total, ce ne sont pas moins de 275 planches qui illustrent les 245 fables. Ces estampes d’une qualité remarquable ont été exécutées à l’eau-forte par Charles-Nicolas Cochin (fils), membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et toute une équipe de collaborateurs, à partir de dessins de Jean-Baptiste Oudry, peintre du Roi et professeur en cette même académie. Le portrait de ce dernier, décédé précisément en 1755, orne le frontispice du premier volume.
C’est dans le livre III des Fables de La Fontaine que figure « Les Membres et l’estomac », que la critique regarde parfois comme une réécriture d’Ésope, mais qui, à l’évidence, s’inspire plutôt d’un passage de l’Histoire romaine.
Ésope a laissé, sous le titre « L’Estomac et les pieds »,
l’apologue suivant (159)1 :
« L’estomac et les pieds disputaient de leur force. À tout
propos les pieds alléguaient qu’ils étaient tellement supérieurs
en force qu’ils portaient même l’estomac. À quoi
celui-ci répondit : ‘Mais, mes amis, si je ne vous fournissais
pas de nourriture, vous-mêmes ne pourriez pas me
porter.’ Il en va ainsi dans les armées : le nombre, le plus
souvent, n’est rien, si les chefs n’excellent pas dans le
conseil. »
On voit qu’il n’est pas question, chez Ésope, de rébellion des membres et des organes contre l’estomac : le constat que les pieds ne pourraient vivre sans l’estomac suggère seulement – à suivre le fabuliste grec – que, dans une armée, le nombre des soldats ne fait rien à l’affaire, si les chefs ne sont pas avisés.
Tite-Live a sans doute pensé à Ésope (même s’il ne le mentionne pas), quand il raconte, au chapitre XXXII du livre II de l’Histoire romaine, comment Ménénius Agrippa, que l’historien présente comme un patricien d’origine plébéienne doté d’une grande éloquence, réussit en 494 av. J.-C. à persuader la plèbe, qui voulait faire sécession, de se réconcilier avec le Sénat et les patriciens, et d’assumer à nouveau sa fonction au sein de la cité :
« Sans l’union de tous les citoyens, la situation apparaissait comme désespérée ; cette union, il fallait coûte que coûte la ramener dans l’État. On décida donc d’envoyer à la plèbe un parlementaire, Ménénius Agrippa, orateur éloquent, que ses origines plébéiennes rendaient populaire. Une fois introduit dans le camp, il eut recours à un procédé oratoire archaïque et primitif, et se borna à raconter cette fable : ‘Au temps que le corps humain ne formait pas comme aujourd’hui un tout en parfaite harmonie, mais où chaque membre avait son opinion et son langage, tous s’étaient indignés d’avoir le souci, la peine, la charge d’être les pourvoyeurs de l’estomac, tandis que lui, oisif au milieu d’eux, n’avait qu’à jouir des plaisirs qu’on lui procurait ; tous, d’un commun accord, avaient décidé, les mains de ne plus porter les aliments à la bouche, la bouche de ne plus les recevoir, les dents de ne plus les broyer. Mais, en voulant, dans leur colère, réduire l’estomac par la famine, du coup les membres, eux aussi, et le corps entier étaient tombés dans un complet épuisement. Ils avaient alors compris que la fonction de l’estomac n’était pas non plus une sinécure, que s’ils le nourrissaient il les nourrissait, en renvoyant à toutes les parties du corps ce principe de vie et de force réparti entre toutes les veines, le fruit de la digestion, le sang.’ Faisant alors un parallèle entre la révolte interne du corps et la colère des plébéiens contre le Sénat, il les fit changer de sentiment2. »
Dans le récit de Tite-Live, l’apologue ésopique de l’estomac est amplifié et subit de nombreux remaniements. Cette nouvelle version de la fable connaîtra une importante postérité : ainsi, Plutarque la reprend dans la Vie de Coriolan (chap. VI, 3-5), et il en est question, de la sorte, au début du Coriolan de Shakespeare (acte I, scène 1).
En 1668, La Fontaine utilise ce matériau dans une fable nouvelle où le rappel du récit livien fait l’objet d’un commentaire. L’auteur des Fables explique comment « appliquer » la leçon de l’apologue gréco-latin à la France du XVIIe siècle : « Ceci peut s’appliquer à la grandeur royale » (vers 24).
Le Sénat romain laisse ainsi la place au roi – et la plèbe (ou la « commune »), aux Français. La source et l’ancrage historique de cette fable lui confèrent une place à part dans le recueil de La Fontaine – qui parle lui-même d’un « apologue insigne entre les fables » (vers 43). Cette singularité est bien perceptible aussi dans l’image composée par Jean-Baptiste Oudry pour accompagner le texte dans notre édition : les paysages ou les intérieurs de la France du XVIIIe siècle caractéristiques des autres gravures font ici place à un décor antique classicisant, suggéré par une statue brisée, un fragment de colonne et d’autres vestiges architecturaux. Au premier plan de ce paysage qui semble annoncer la « poétique des ruines », un jeune homme nu est étendu inanimé sur le sol – image allégorique bien différente des scènes de genre ou animalières, très animées au contraire, qui font l’objet de la plupart des autres estampes.
« Les Membres et l’estomac » contribue à éclairer les sentiments éprouvés par La Fontaine vis-à-vis de Louis XIV. « Le Loup et l’agneau » – qui appartient au livre I des Fables – paraît sortir de la plume d’un adversaire de l’absolutisme. « Les Membres et l’estomac » apporte sur ce chapitre plus qu’une nuance, en suggérant que toute rébellion contre le pouvoir central serait catastrophique pour l’intérêt commun, et affamerait en particulier le peuple lui-même (il faut un pouvoir central pour lequel on travaille, et qui redistribue ce qu’il reçoit). Mais on n’en inférera pas pour autant que La Fontaine se présente ici même comme un caudataire de Louis XIV : en témoigne la désignation métaphorique du roi sous les traits de « Messer Gaster », par référence au Quart Livre de Rabelais (chap. LVII), où « messere Gaster » est une figure parodique et monstrueuse.
Michel Brix
1 Dans la traduction d’É. Chambry, Paris (Collection des Universités de France), 1927.
2 Tite-Live, Histoire romaine, II, 32, 8-12, dans la traduction de G. Baillet (Collection des Universités de France), Paris, 1962.
Citer la notice
Titre
Auteur(s)
Oudry, Jean-Baptiste, 1686-1755
Jombert, Charles-Antoine. Imprimeur
de Largillière, Nicolas, 1656-1746
Desaint, Jean. Imprimeur
Saillant, Charles. Imprimeur
Durand, Laurent. Imprimeur
Monthenault d'Egly, Charles-Philippe, 1696-1749
Cochin, Charles-Nicolas, 1715-1790
Tardieu, Jacques Nicolas, 1716-1791
Date
Citer la notice
Titre
Auteur(s)
Oudry, Jean-Baptiste, 1686-1755
Jombert, Charles-Antoine. Imprimeur
de Largillière, Nicolas, 1656-1746
Desaint, Jean. Imprimeur
Saillant, Charles. Imprimeur
Durand, Laurent. Imprimeur
Monthenault d'Egly, Charles-Philippe, 1696-1749
Cochin, Charles-Nicolas, 1715-1790
Tardieu, Jacques Nicolas, 1716-1791
Date
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Notes
Mention sur page de titre : de l'imprimerie de Charles-Antoine Jombert
Portrait de Jean-Baptiste Oudry gravé par J.Tardieu d'après Nicolas de Largillière
Nombreuses planches gravées par Cochin e.a.
Dédicace de Montenault au roi ; dédicace de l'auteur au dauphin
Provenance : Vignette Museum Artium Prov. Belg. S. I. avec ancienne cote Arts folio 110
Vignette William Charles Smith